Un Temps Pour Créer | Julia Girel
A time for creating.
When I was fifteen, I took an optional class in plastic arts at high school. It was a class that took place on a Wednesday afternoon when all the classrooms were empty and the cleaning ladies were washing the cold floors. The teacher imposed a theme, we followed it, then we were graded. I liked it. Then, at the end of high school, I chose theoretical classes held in amphitheaters and never again opened a gouache tube. It lacked purpose.
Why continue to doodle on a piece of sketch paper when it was time for studying and preparation for employment?
I’ll spare you the rest of my academic career and go straight to my destination: a trend agency. My first job. A place that combined fashion and publishing, just what I wanted. And here I stayed for three years.
A trend agency determines trends. Contrary to first impressions, this sentence is not, in fact, redundant. It insinuates to what extent things can sometimes go round in circles. Not constantly, only sometimes… but among those few times was the one time too many. That one time which acts as a spark, lighting the flame of existential questions. Who am I? Why am I here? Where am I going? The whole caboodle.
Just like my sketch paper, the world of trends also started to lack purpose. The comparison ends here. We both know that trends can end up as a ruse. And we both know that my sketch paper was not a ruse, simply a means of self-expression.
At the agency, time was reduced. Reduced for and by us, the team.
The pace was set by the abbreviations SS, AW (Spring-Summer, Autumn-Winter), plus the number of the year. SS19 for example. As a forward-looking agency, our mission was to imagine SS 2019 two years in advance, in April 2017. The last season’s production I followed was that of the 2019 summer season. I edited the usual project plan, with its three-month horizontal chronology, distributed this dead-end roadmap to the trendbook directors, designers, graphic artists and sales representatives, and then I left the dance.
It must be said that always galloping to be ahead caused us sometimes to end up behind; publishing too soon prevented us from being able to take into consideration the latest information. Common sense, sense of direction, of reality, of what’s right. I don’t know which one I was losing. A bit of each, all sense, until there was nothing left. What was there in their place was a longing for the weekend and its contrived free time, which did not give my natural slowness the opportunity to make itself comfortable. In a parallel life, a slow life, my sketch paper was reduced to confetti. And, as a matter of fact, we would tell of this tantalising slow life in our editorials: “travel within ourselves using melancholy”, “rediscover the happiness that comes from contemplating the wonders of the world”, “declutter ourselves from the inessential”, “trust our intuition”. A few healthy phrases under sleek images of terracotta bowls, elegantly wrinkled hands, silent decors. These well-intended catchphrases would tickle my mind from Monday to Friday. Inevitably, I found myself thinking and (re)viewing my paper, this sheet of sketch paper.
While preparing our SS2019, I realized my error of judgment. As a snobby and ignorant teenager, I had clumsily reduced the idea of creation to two scenarios.
In the first, creation could only amount to second-rate workshops in which seashell photo frames or patchwork ornaments were fashioned for Mother’s Day or Christmas. In the second, I saw the career of a sought-after artist who travels in business class and dresses in Chanel, a sleek and shiny profession, buffered by all that coming and going between New York and Paris.
Because my school deemed me too slow, because they always required everything to have a specific purpose, because they asked for results, for studies with exciting career opportunities, creating for the sake of creating made literally no sense. But we don’t only grow in a class of thirty. On the floor my bedroom or piled on the desk were copies of Vogue, Self Service, Citizen K, ELLE… A culture of the lifestyle magazine. It’s not surprising that my wake-up call, let’s call it the “sketch paper”, was triggered by a trend. Amen to superficiality and to those brilliant journalists. Sophie Fontanel, thank you.
I was finally learning a truth that every eight year old knows: creating is fulfilling. Drawing, writing, cooking, tinkering, imagining, means to extend one’s identity as far as possible. It is called affirming oneself.
Today, I have left my time-consuming position in order to savour a more flexible working day. Today is Thursday, I am writing with my laptop balanced on my legs, the fresh air of May entering through the window, Amsterdam at the foot of my building. The sketch paper has become a Word document where I romanticize this testimony, and, so far, all is going well.
Un temps Pour Créer.
À quinze ans, au lycée je choisis l’option facultative Art Plastique. C’est un cours qui a lieu le mercredi après-midi, quand toutes les salles sont vides et que les dames de ménage nettoient les sols en carrelage froid. Le prof’ impose un thème, on le suit, la note tombe. J’aimais ça. Puis, à la fin du lycée, j’opte pour les cours théoriques en amphi et ne déboucherai plus un seul tube de gouache. Ça manquait de finalité. Pourquoi continuer à bidouiller sur une feuille format raisin alors que le moment était aux études à objectif emploi ?
Je supprime ici les lignes sur mon parcours scolaire à rallonge et en viens directement à ma destination : l’agence de tendances. Mon premier job. Un lieu qui combinait mode et édition, comme je le souhaitais. J’y suis restée trois ans.
Une agence de tendances détermine des tendances. Contrairement à ce dont elle a l’air, cette phrase est utile. Elle insinue à quel point ça pouvait parfois tourner en rond. Pas constamment, seulement parfois mais parmi ces quelques fois il y a eu celle de trop. Celle qui fait étincelle et allume la flamme des questions existentielles. Qui-suis ? Pourquoi suis-je là ? Où vais-je ? Tout le bazar.
Comme ma feuille format raisin, le monde des tendances manquait à son tour de finalité. La comparaison s’arrête là. Nous savons vous et moi que les tendances peuvent finir en attrape-couillon. Et nous savons vous et moi que ma feuille format raisin n’était pas un attrape-couillon, simplement un moyen d’expression.
À l’agence, le temps était réduit. Réduit pour et par nous, l’équipe.
La cadence suivait celle des abréviations PE, AH (Printemps-Été, Automne-Hiver), à quoi était ajouté le chiffre de l’année. PE 2019 par exemple. En tant qu’agence prospective, l’intérêt était d’imaginer ce PE 2019 deux ans à l’avance, en avril 2017. La saison estivale 2019 fut la dernière dont je suivis la production. J’ai édité l’habituel rétro-planning et sa chronologie horizontale de trois petits mois, ai distribué aux responsables de cahiers, stylistes, graphistes et commerciaux cette feuille de route sans issue puis, ai quitté la ronde.
Il faut dire que ça galopait si vite qu’à force d’être en avance nous étions parfois en retard ; publier trop tôt empêchait de prendre en considération de fraîches informations. Sens des réalités, bon sens, sens de l’orientation, sens commun. Je ne sais pas lequel je perdais. Un peu de tous, du sens, il n’y en avait plus nulle part. Ce qu’il y avait en revanche c’était l’attente du weekend et son temps libre entravé qui ne permettait pas à ma lenteur naturelle de prendre pleinement ses aises. Ma feuille format raisin était en miettes dans une vie parallèle, la slow life. Et, justement, nous racontions cette alléchante vie lente dans nos éditos : « voyager en nous-même grâce à la mélancolie », « retrouver le bonheur de contempler les merveilles du monde », « se désencombrer de l’inessentiel », « compter sur notre intuition ». Quelques phrases saines sous les images léchées de bols en terre cuite, de mains élégamment ridées, de décors silencieux. Ces formules bien intentionnées chatouillaient mon esprit du lundi au vendredi. Inévitablement, j’ai (ré)fléchis et revue ma copie, cette feuille format raisin.
Au cours de la préparation de notre PE 2019 je réalise ainsi mon erreur de jugement.
En snob et ignorante adolescente, j’avais maladroitement réduit l’idée de création à deux images.
*D’un côté, elle ne pouvait être que de tristes ateliers de cadres en coquillage ou de boules de Noël en patchwork avec aucun autre horizon que Noël et la fête des mères. De l’autre, elle servait une carrière d’artiste sollicité qui voyage en classe affaire et s’habille Chanel, un métier tout lisse, lustré par les va-et-vient entre New York et Paris. *
Parce que l’école m’avait jugée trop lente, parce qu’elle demandait à ce qu’il y ait toujours une fin déterminée, parce qu’elle voulait des résultats, des études à forts débouchés, créer pour créer n’avait, littéralement, pas de sens. Mais l’on grandi aussi ailleurs qu’en classe de trente. Sur la moquette de ma chambre, en pile sur mon bureau des Vogue, Self Service, Citizen K, ELLE… Une culture de magazine lifestyle. Rien d’étonnant donc à ce que ma prise de conscience, appelons-la « feuille format raisin », ai été provoquée par une tendance. Amen à la superficialité et à ses journalistes de génie. Sophie Fontanel, Merci.
J’apprenais finalement une vérité qu’un enfant de huit ans connait : créer est épanouissant. Dessiner, écrire, cuisiner, bricoler, imaginer, c’est pousser son identité aussi loin que possible, ça s’appelle : s’affirmer.
Aujourd’hui, j’ai quitté mon poste chronophage pour savourer un temps plus élastique. Nous sommes jeudi, j’écris le laptop sur les cuisses, l’air frais de mai rentre par la fenêtre, Amsterdam est au pied de mon immeuble. La feuille format raisin est devenue une page format Word où j’y romance ce témoignage et, jusqu’ici, tout avance bien.